Dans le précédent article consacré aux modes, nous avons vu comment sont construits les sept modes issus de la gamme Majeure. Nous avons également vu qu’à chacun de ces modes est associé un sentiment modal. Je vous propose aujourd’hui d’écouter plusieurs morceaux afin d’illustrer chaque mode et le sentiment modal qui s’y rattache.

  • Le mode ionien

Le mode ionien est le mode dont la sonorité nous est la plus familière. Le premier morceau qui me vient à l’esprit, quand on parle de ionien, c’est le célébrissime thème du film Superman, composé par John Williams.

 

John Williams, Superman.

 

  • Le mode dorien

Le mode dorien est un des modes les plus utilisés dans la musique médiévale et la musique celtique. Personnellement, c’est un mode que j’affectionne énormément.

 

Simon & Garfunkel, Scarborough Fair.

 

Le mode dorien est aussi un des modes les plus joués dans le Jazz modal. Le thème du morceau So What de Miles Davis, interprété par la contrebasse, est en Ré dorien pendant seize mesures, puis module au demi-ton supérieur en Mi bémol dorien pendant huit mesures avant de revenir en Ré dorien pour les huit dernières mesures de la grille.

 

Miles Davis, So What.

 

Je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous une de mes madeleines : le thème principal du jeu Tomb Raider II, également en dorien !

 

Nathan McCree, Tomb Raider II main theme.

 

  • Le mode phrygien

Le mode phrygien a une couleur hispanisante très prononcée qui le rend immédiatement identifiable à l’oreille. On trouve le mode phrygien notamment dans le Flamenco et les musique tsiganes où il est utilisé conjointement au mode phrygien dominant (qui se distingue du mode phrygien issu de la gamme Majeure par sa tierce majeure).

Chick Corea, Spain.

 

  • Le mode lydien

Le mode lydien est sans conteste le mode le plus utilisé, et de loin, dans les musiques de film. Son caractère fantastique, féérique et magique l’a rendu populaire auprès de nombre de compositeurs !

 

James Horner, Jumanji End Title.

 

  • Le mode mixolydien

Le mode mixolydien, avec sa septième mineure qui n’est pas sans rappeler quelques sonorités Blues, se retrouve souvent dans le Rock et le Hard Rock.

 

The Doors, L.A. Woman : un morceau rock modal, avec une pédale de basse.

 

  • Le mode éolien

Le mode éolien est également beaucoup utilisé par les compositeurs de musiques de films pour créer des climats tristes, sombres ou angoissants.

 

La musique du film 36 Quai des orfèvres composée par Erwann Kermorvant. Là encore on peut entendre une pédale de basse qui permet d’ancrer le mode.

 

  • Le mode locrien

Le mode locrien fait figure d’exception. Sa quinte diminuée, son instabilité et sa couleur si particulière le rendent inutilisable. Il n’existe pas, à ma connaissance, de morceau strictement modal en locrien, quoique j’imagine que cela doit pouvoir se trouver en Métal. Si un lecteur venait à me trouver un morceau en locrien, je lui en serai extrêmement reconnaissant !

 

J’espère que cet article vous a plu. J’aurais pu multiplier les exemples tant ils sont nombreux ; il m’a fallu opérer une sélection et ne pas céder à l’envie de mettre de nombreux autres morceaux qui me sont chers.

 

Pour terminer, je vous invite à regarder cette excellente série de vidéos dans lesquelles on peut voir Leonard Bernstein expliquer les modes et les illustrer avec des morceaux de Debussy, des Beatles ou encore avec ses propres compositions !

 

Leonard Bernstein, What is a mode ?

24 réflexions sur “Comprendre les modes, seconde partie

  1. Et alors concrètement, pour un musicien, l’intérêt des modes quel est-il ? Donner une couleur particulière à une phrase donnée ? Genre j’utilise le mode Éolien pour donner un côté triste ? Ou y a-t-il autre chose ?
    De plus, très pratiquement, comment ça marche ? Est ce que c’est « sur un Si mineur, faire une phrase dont la tonique est Do # c’est du Dorien ? »

    • L’intérêt des modes pour le musicien est double :

      – Connaître les modes dans le Jazz et les musiques actuelles permet de savoir quelles notes jouer sur quels accords (on parle alors de « gammes d’accord »). C’est là l’usage principal actuel.

      – Connaître les modes permet de comprendre les musiques dites modales (par opposition aux musiques tonales) et éventuellement d’en composer. Chaque mode possède une couleur, un sentiment qui lui est propre, que le musicien/compositeur peut avoir envie d’exploiter.

      Pour répondre à ta question (un peu grossièrement, il faudrait au minimum un article entier pour te répondre), il ne suffit pas de jouer les notes d’un mode pour entendre ce mode. Il faut quelque chose pour ancrer le mode et l’identifier en tant que tel. Cela peut-être un accord, une note bourdon, un ostinato de basse. Par exemple, si tu joues au piano « ré mi fa sol la si do ré », tout ce que tu vas entendre, c’est une gamme de Do démarrée sur la note Ré. Maintenant, si tu joues la même chose à la main droite tout en plaquant à la main gauche un accord de D-7, ou un simple Ré grave, alors tu vas entendre ton mode de Ré dorien.

      Pour comprendre le principe de la musique modale, pense à la cornemuse : la cornemuse écossaise possède trois tuyaux (appelés bourdons) qui jouent des notes fixes. Toutes les notes jouées par le musicien sur le tuyau mélodique sont goûtées, appréciées par rapport à ces notes fixes qui servent de point de référence pour l’oreille.

      Tout cela n’est pas aussi complexe que ça en a l’air de prime abord ; je pense consacré un article à ces questions.

  2. Un petit message juste pour vous remercier et vous dire bravo pour ces explications claires et à la portée du premier couillon venu (moi en l’occurrence…).
    Bonne continuation,
    Sylvain

  3. Merci pour votre blog et vos explications sur les modes qui m’ont grandement inspiré dans l’écriture de mes billets sur le sujet : http://2cof.blogspot.fr/
    Je posterai d’ici fin mai 2016 au sujet du mode locrien, injustement sous-représenté et trop vite balayé par Monsieur Bernstein pour lequel je conserve malgré cela une admiration respectueuse!

  4. Modes éolien et locrien disponibles. Pour le locrien, on peut citer « Army of Me » de Björk, ainsi que le début de la symphonie n°4 en la mineur de Sibelius. J’ai également donné des exemples d’auteurs moins connus piochés ça et là sur le Web. A noter : il y a assez souvent une confusion parfois entre le locrien et le phrygien, qui ont tous les deux une seconde diminuée et une tierce mineure. Mais la quarte diminuée du locrien change tout (le fameux triton). Ce sera éventuellement l’objet d’un futur post

    • Merci pour ces autres références musicales !
      P.S. : Le triton du mode locrien n’est pas une quarte augmentée, mais une quinte diminuée (bien que ces deux notes soient des enharmonies). En effet, le mode locrien possède une quarte juste, d’ailleurs souvent employée à la place de la tierce pour construire les voicings d’accords semi-diminués.

  5. Merci Matthieu, pour votre réponse et pour votre correction de mon commentaire inexact sur la quarte : il y a effectivement une quarte juste dans ce mode, et les quartes ne se multiplient pas ! Donc adjugé pour l’enharmonie, et la quinte diminuée.

  6. J’aime votre façon d’expliquer, mais peut-on transférer tous ces donnés sur un disque dur externe pour pouvoir reprendre l’écoute des différents modes, lorsque nous avons de besoin de les réécoutés. Et si j’ai bien compris c’est à partir de ces modes qu’on peut faire nos accords de septième neuvième etc….

    • Bonjour,
      Vous avez tout à fait raison, le deuxième mouvement du concerto est en Si mineur. En fait, Aranjuez joue de l’ambiguïté entre le Si mineur et le Fa# phrygien, à la fois d’un point de vue mélodique, notamment en faisant démarrer son thème sur la note Fa#, et d’un point de vue harmonique en gardant sur certain passage l’accord de Fa# mineur, qu’il majorise ensuite, procédé courant notamment dans le flamenco.

    • Bonjour,
      On entend le dorien dès le tout début du morceau : la mélodie principale utilise toutes les notes de la gamme de do dorien (do ré mib fa sol la sib), et ladite mélodie est jouée par dessus des nappes, dont la note la plus grave est une pédale de do.

  7. Bonsoir, merci beaucoup pour votre réponse. Le sujet m’intéresse vraiment…… et me laisse dans le questionnement.
    Bien évidemment toutes les notes de DO dorien sont présentes mais dit-on pour autant que nous sommes en Dorien ? ; ne peut-on considérer que c’est aussi la gamme de FA… avec un mi b, car :

    – le 1er accord est bien un accord de FA ? (sur une basse do)
    – à 0,16mn (mesure 5) on a bien : – 1 mesure basse fa
    – 1 mesure basse sib
    – 1 mesure basse fa
    – 1 mesure basse sib

    – à 0,31mn, on a bien : – 1 mesure basse fa
    – 1 mesure basse do
    – 1 mesure basse fa
    – 1 mesure basse do

    Cet accord de FA qui revient régulièrement sur le 1er temps de chaque mesure (avec sa tierce majeure) ne me donne pas du tout l’impression d’être en mineur !

    Pouvez-vous m’éclairer ? Je vous souhaite un bon week-end. Patrick

    • En effet, le morceau est assez subtil :

      – Comme vous le dites, à partir de la 5ème mesure, la basse alterne entre une mesure de Fa, puis une mesure de Do. C’est clairement audible à partir de la neuvième mesure ou la basse joue ces notes à la noire.
      – Cependant, il ne s’agit pas de la tonalité de Fa Majeur : comme vous le dites vous même, il y a un Mib, ce qui nous orienterait plutôt sur un Fa mixolydien (dont les notes sont les mêmes que celles de Do dorien).
      – Maintenant, quand on écoute la mélodie des mesures un à 5, les notes sur lesquelles elle s’appuie nous placent clairement en Do dorien (Do première mesure, Sol sur la seconde mesure, à nouveau Do sur la troisième mesure). La mélodie s’achève sur un Fa sur la cinquième mesure, mais ce Fa ne sonne pas comme une tonique : on a pas de sentiment de résolution, et l’oreille aurait envie d’entendre la descente mélodique Fa Mi Ré Do.
      – Quand la mélodie est exposée à nouveau à partir de la mesure 9, le compositeur se garde toujours de faire sonner la note Fa comme une tonique : celle-ci arrive d’ailleurs toujours lorsqu’on a un Do à la basse (mesure 12) ou un Sib (mesure 16).

      En somme il s’agit d’un morceau plus complexe qu’il n’y parait, et remarquablement bien écrit ! J’en ai relevé une bonne partie, mais il faudrait en relever encore le reste pour tout en saisir.

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